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Afrique
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Retour des oeuvres d’art volées : et si on redéfinissait la politique culturelle européenne ?
Depuis des décennies, des pays demandent le retour de leurs œuvres d’arts volées : la Grèce et le Nigeria au British Museum, l’Égypte au Louvre, le Bénin au Quai Branly… Le prêt des œuvres d’art n’est pas un phénomène nouveau, il a même permis de faire connaitre certaines œuvres mondialement. Mais que faire des œuvres volées ou acquises dans un contexte douteux ?
En 2018, le rapport Sarr-Savoye commandé par Emmanuel Macron pose le cadre de la restitution des biens culturels aux pays d’Afrique anciennement colonisés par la France. Pourtant, les débats et polémiques autour de cette question restent nombreux : le patrimoine culturel est-il national ou universel ? Plus que culturelles, ces œuvres d’art ne sont-elles pas politiques ? Est-ce là l’opportunité de redéfinir l’histoire européenne par la culture et l’échange ?
Retourner, restituer ? Les limites du cadre juridique.
Les mots ont leur importance : faut-il rendre, restituer, ou rapatrier les œuvres d’art aux pays concernés ? Pour l’UNESCO, le « retour » inclut des « biens culturels qui ont été perdus par suite d’une occupation coloniale ou étrangère » ; c’est à dire des biens qui retournent dans leur pays d’origine après avoir été volés par un État. La « restitution » quand à elle, concerne des biens culturels qui ont disparu suite à une appropriation illégale ; elle inclut des œuvres qui sont restées dans leurs pays d’origine après avoir été dérobées.
Le cas du Portrait d’Adele Bloch-Bauer I est emblématique d’un exemple de restitution culturelle. Peint par Klimt en 1907, le tableau a été volé pendant la deuxième Guerre Mondiale par le régime nazi. En 2006, au terme d’une longue bataille juridique, il a été rendu à la nièce du propriétaire du tableau — puis revendu pour 135 millions de dollars à un milliardaire new yorkais. Nous avons ici l’exemple d’une restitution à une personne privée. Est-ce pourtant aussi simple pour les États ?
La notion de restitution est très polémique. Depuis sa première utilisation en 1973 par l’Assemblée générale de l’ONU, sa reconnaissance a été mal acceptée par les musées et les propriétaires d’œuvres acquises. Pourquoi ? Car ces notions renvoient à une époque coloniale embarrassante, que les pays colonisateurs refusaient de condamner. De plus, pour les conservateurs de musées, accepter cette notion signifierait en quelque sorte « ouvrir la boîte de Pandore » et voir leur musées vidés de leurs collections. Ainsi, pour le président du musée du Quai Branly Stéphane Martin, les musées ne doivent pas « être otages de l’histoire douloureuse du colonialisme. » Pourtant, 70 000 œuvres africaines sont exposées au Musée du Quai Branly. Au total, plus de 90% des pièces majeures d’Afrique subsaharienne se trouvent hors du continent.
Finalement, c’est l’UNESCO qui prend la tête du débat et affirme pour la première fois que les biens culturels doivent être soumis à des règles de droit, dû à leur nature si particulière. Un « Comité intergouvernemental pour la promotion du retour des biens culturels à leur pays d’origine ou leur restitution en cas d’appropriation illégale » est crée, rassemblant 24 États membres élus comme le Bénin, la Hongrie, l’Égypte et le Mali. L’ancien directeur général de l’UNESCO, Amadou-Mahtar M’Bow s’attèle à restituer « au moins les trésors les plus représentatifs de leur culture, ceux auxquels ils attachent le plus d’importance, ceux dont l’absence est psychologiquement la plus intolérable. » L’UNESCO définit ainsi les trois composantes essentielles liée à l’objet culturel : la protection et la sécurité des œuvres restituées au pays d’origine, la mise à disposition des objets culturels, et la transmission des objets.
Le patrimoine culturel est donc une réalité certes floue, mais qui s’appuie sur un droit et des espaces géographiques précis. À quelle échelle perçoit-on le patrimoine ? Selon l’espace concerné, le regard que nous portons sur le patrimoine change. Comment alors traiter le cas des œuvres d’arts volées ? Qu’en est-il de la coopération européenne ? Et des relations entre l’Europe et le reste du monde ?
Les oeuvres du Parthénon grec au British Museum : un patrimoine européen commun ?
L’exemple des marbres du Parthénon exposés au British Museum est un cas d’école : un exemple de combat pour la restitution d’oeuvres d’art, où les arguments culturels se mêlent aux arguments politiques des États.
Tout d’abord, revenons à l’origine du contentieux. Au Ve siècle av. JC, Athènes est la cité la plus puissante du monde antique occidental. La colline sacrée de l’Acropole domine la ville, où se dresse le Parthénon, chef d’œuvre architectural emblématique de la culture grecque. Le Parthénon, du grec παρθενος (parthénos) qui signifie « jeune fille », a été érigé par Périclès. Cette frise met en image la richesse d’Athènes et veut fédérer les citoyens autour d’une fête commune : c’est une frise qui célèbre la richesse du patrimoine grec, souvent considéré comme la base de la civilisation occidentale, et qui représente un précieux témoignage pour les historiens.
Au début du XIXe siècle, Lord Elgin, ambassadeur de Grande-Bretagne à Constantinople — car la Grèce était à l’époque sous le contrôle de l’empire ottoman — reçoit un décret royal du Grand Vizir l’autorisant à réaliser des croquis et moulages du Parthénon et de ses frises. Il outrepasse cette autorisation pour dépouiller le bâtiment de ses plus beaux marbres : au total, il fait retirer plus de 200 caisses de marbres, tout en endommageant durablement le bâtiment. En 1916, le parlement britannique vote une loi qui concède à perpétuité les marbres au British Museum. Finalement, parmi les 97 plaques de la frise, 56 se trouvent en Angleterre, contre 40 en Grèce.
La demande de restitution des marbres est ancienne : elle émerge dès l’indépendance de la Grèce, en 1832. En 1983, la Grèce, tout juste entrée dans l’Union européenne, affirme sa volonté de voir revenir les marbres, par l’action de Melina Mercouri, ministre de la culture. Pourquoi cette demande n’a-t-elle pas encore aboutie ? Car la longue bataille juridique pour le retour des marbres agit comme le symptôme révélateur des conflits autour du patrimoine culturel : est-il national, européen, ou universel ? Et qui le mettra en valeur ? Jusque lors, le gouvernement britannique rejette ses requêtes. Ses arguments sont doubles : bien que Lord Elgin ai outrepassé ses droits, l’Angleterre affirme que l’acquisition s’est faite de manière légale. De plus, en conservant les marbres, l’Angleterre répond au principe d’universalité des œuvres d’art appliqué par l’UNESCO. Les autres grands musées occidentaux s’alignent sur le British Museum de peur de voir leur collections suivre ce mouvement de désertion. L’argument selon lequel l’Angleterre serait la seule à pouvoir conserver les marbres est-il valable ?
Le débat prend un nouveau tournant au XXIe siècle : en 2009 s’ouvre le nouveau musée de l’Acropole, situé à 300 mètres sous le plateau du Parthénon. Dès lors, les arguments britanniques de conservation ne sont plus valables, puisque le musée offre des conditions requises de protection, de préservation et de sécurité. Dans le musée, l’absence des marbres est flagrante : à coté des originaux, l’oeil du spectateur est attiré par des répliques de plâtre estampillées « British Museum ». Aujourd’hui, un nouvel acteur s’immisce dans le débat sur la restitution culturelle : l’opinion publique. Grâce à l’action de personnalités comme Nikos Aliagas, ou grâce à la mobilisation des citoyens dans des pétitions, le retour des marbres est de plus en plus souhaité à la fois par les Grecs mais aussi par les Anglais.
Ainsi, la restitution des marbres grecs couvre un enjeu non seulement archéologique et historique, mais aussi culturel et politique. Finalement, la question se pose au niveau européen : la restitution permettrait de mettre en valeur l’idée d’un patrimoine culturel européen, en plus d’envoyer un message de cohésion et d’union des pays européens dans la crise identitaire et politique que traverse l’Europe aujourd’hui.
Le retour des œuvres africaines : l’Europe face à son passé, quelle politique culturelle ?
En novembre 2017, Emmanuel Macron se rend à l’université de Ouagadougou, au Burkina Faso, où il prononce un discours symbolique qui marque un tournant dans les relations entre l’Afrique et la France : « Aujourd’hui nous sommes orphelins d’un imaginaire commun : le patrimoine africain ne peut pas être prisonnier de musées européens. » La stratégie du président français est claire : établir un nouveau récit des relations franco-africaines, par des gestes symboliques et des actes forts. Et si la culture constituait l’opportunité de réconcilier les mémoires ?
“Le génie d’un peuple trouve une de ses incarnations les plus nobles dans le patrimoine culturel que constitue, au fil des siècles, l’œuvre de ses architectes, de ses sculpteurs, de ses peintres, (…) Les peuples victimes de ce pillage parfois séculaire n’ont pas seulement été dépouillés de chefs-d’œuvre irremplaçables : ils ont été dépossédés d’une mémoire qui les aurait, sans doute aidés à mieux se connaître eux-mêmes, certainement à se faire mieux comprendre les autres. (…) Ces biens de culture qui sont partie de leur être, les hommes et les femmes de ces pays ont droit à les recouvrer. »
Amadou-Mahtar M’Bow, secrétaire général de l’UNESCO, 1978.
La culture est un enjeu fondamental : pour le continent africain, comme pour le monde entier. Car derrière ce patrimoine se joue des questions d’identité, de développement, et de tourisme. Selon certains experts, 85 à 90% du patrimoine africain se trouve hors du continent : comment construire son identité dans ces cas là ? L’affirmation selon laquelle « l’homme africain n’est pas rentrée dans l’histoire » de Nicolas Sarkozy ne révèle pas ces inégalités d’accès à la culture et de construction de soi ?
Le rapport Sarr-Savoy commandé en novembre 2018 par Emmanuel Macron marque un tournant dans la conception et la manière dont les pays abordent leur politiques culturelles et internationales. Selon le rapport, restituer reviendrait à ré-instituer le propriétaire légitime du bien ; cela appelle non seulement à un rééquilibrage, mais aussi à une justice et à une réparation. Le rapport ouvre la voie à de nouveaux rapports culturels sous une éthique repensée : « restituer c’est offrir une réparation symbolique de ce qui a été dégradé, établir une relation future sur une histoire partagée » selon Mme Savoy. Elle ajoute : « il ne s’agit pas de vider les musées français pour remplir les musées africains », la volonté des auteurs de ce rapport est ici de rappeler que la jeunesse de ces pays n’a pas accès à une forme de sa mémoire. La décision du président français de restituer 26 œuvres volées au Bénin et exposés au Quai Branly — où on retrouve statues royales, trônes, objets pris en butin de guerre à la fin du XIXe siècle — est une décision historique qui a eu un retentissement international. Malgré les difficultés d’application des mesures, ce rapport marque un changement de paradigme : la possibilité pour les États concernés d’inverser la tendance en matière de politique culturelle, ce qui modifie les rapports de force entre les États.
Finalement, le patrimoine culturel est une notion qui transcende à la fois l’identité nationale et l’universel, le monde culturel et la sphère politique. Des marbres volés du Parthénon aux œuvres africaines du Quai Branly, ces œuvres interrogent notre rapport à l’histoire et aux cultures des peuples. Si l’Europe devenait la figure de proue de ce combat, cela serait une opportunité de fonder une nouvelle politique culturelle européenne, axée sur l’échange et l’éthique plutôt que le poids des souffrances passées.
Merci à Pavlo Stergard et Cécile Bialot pour leur aide. Je leur dédie ce meme qui résume avec humour et désinvolture cet article.
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